L’Intelligence artificielle et le photographe photoshopeur.

 Lasserre Philippe juillet 2023.
L’Intelligence artificielle et le photographe Photoshoper.
Ce texte fait suite à un post suivi de débat sur le groupe Pspourphotographes et à des réunions sur ce thème ainsi que la lecture de divers articles.

L’intelligence artificielle existe, elle est là et sera utilisée de toutes les façons, c’est inéluctable, qu’en penser en tant que photographe et photoshopeur ?

L’IA c’est quoi ? Quelles sont ses limites ?

On parle l’IA (intelligence artificielle), bien qu’il n’y a pas vraiment d’intelligence la dedans, il y a juste analogie avec le cerveau humain et les réseaux neuronaux. On utilise en effet pour analyser ou créer des images des réseaux neuronaux qui simulent le fonctionnement du cerveau. Les générateurs de texte utilisent plutôt des algorithmes statistiques. 
Les IA produisant de simages sont des IA étroites ; adaptées à une seule tache, celle de créer une image, pas plus.
 
Il faut « nourrir » l’IA de millions de photo pour l’éduquer ; on parle de deep learning.
L’IA n’est que la somme de ce qu’on lui met à disposition (des millions de photos) durant sa phase d’apprentissage et reste dépourvue de toute âme ou intention créatrice. Elle manipule des pixels sans vraiment savoir ce qu’elle manipule. Attention, elle ne produit pas d’image en prenant des bouts d’images, elle crée des pixels de toute pièce.
Pour le moment. L’IA n’est pas neutre : elle est orientée par les images qu’on lui a donné pour l’éduquer : si on ne l’a pas éduquée avec des photos d’asiatiques, elle ne génèrera pas de photos de visage de type asiatique ; c’est un exemple simple mais ce fonctionnement peut entrainer des biais. Demander lui de générer une « belle femme », cela sera sans doute une femme blanche avec les critères culturels américain. Les IA chinoises génèreront une femme asiatique.
Les IA sont « bridées » par des règles en vigueur dans les pays créateurs d’IA. Ainsi le nu ne peut être généré par IA ; aussi les photographies de nu seront exclusivement crées par les appareils photos et jamais par IA. L’IA d’Adobe n’a pas été éduquée avec tout ce qui touche une marque déposée, une image protégée. Demandez de générer une image avec Mickey Mouse, dans le style du photographe Watson, cela ne fonctionnera pas (ainsi les droits d’auteur sont préservés) ; ce n’est pas le cas de toutes les IA génératives d’images ce qui pose des problèmes juridiques.
D’autre part l’IA peut produire des images criantes de vérité mais aussi du n’importe quoi, des images bizarres avec de grossières erreurs : elle n’a pas conscience de ce qu’elle produit et il n’y a pas de code informatique sans défaut qui génère logiquement une image. 
Trois aspects peuvent nous intéresser en tant que photographes :

– Les IA qui génèrent du texte quand on lui pose une question. Comme ChatGPT par exemple,

– Les IA outils comme dans Photoshop ou Lightroom : elles aident à sélectionner un personnage, un ciel…, elles aident à enlever du bruit, améliorer la netteté, permettent le choix de certains filtres artistiques,

– Les IA qui génèrent des images à partir de texte (Texte en image  ou en anglais « Text2Image ») comme Midjourney, Dalle-E, StableDiffusion, Firefly et le récent remplissage génératif de Ps (version beta). 

Dans l’IA, l faut distinguer l’IA non générative et l’IA générative ; l’IA qui est utilisée pour sélectionner dans Ps ne pose pas de problème, elle ne crée rien, mais l’IA générative qui génère, qui crée une image ou qui ajoute un élément qui n’existait pas pose beaucoup de questions.

L’IA fait peur ?

La nouveauté fait peur.
À chaque époque, de nouvelles techniques émergent. On peut imaginer que l’apparition de l’imprimerie a choquée les moines recopiant la bible. Les peintres avaient peur de la photographie qui reproduisait le réel à la perfection et finalement les deux vivent côte à côte ; cela a même libérer les peintres de l’obligation de représenter le réel. Photoshop devait permettre tous les excès de falsification et remplacer la photo, il n’en a rien été. Ce sera la même chose avec l’ IA concernant la photo. L’IA ne va pas remplacer le photographe mais elle change la photo sous certains aspects ; il est préférable de dompter l’IA et de s’adapter car impossible de refuser ce qui est déjà présent.
Il y a un emballement médiatique actuellement mais cela va se calmer. Une fois qu’on aura examiné quelques photos étonnantes crées par IA, on passera à autre chose.
L’usage de l’IA pour créer des images en les faisant passer pour des photos est un réel danger. Il y a déjà des excès. Certains concours de photos en ont déjà fait les frais. Il y aura des « faussaires » et des gens qui sans le dire feront ou rajouteront des éléments dans une photo grâce à l’IA
Il est donc nécessaire de créer une nouvelle éthique ou les journalistes auront le devoir de montrer des photos réelles.
Pour les photographes il y aura des photos réelles saisies par un appareil photo ; il y aura aussi des images améliorées ou créées par l’IA.
Il faudra séparer « photo » et « œuvre numérique ».
Une création numérique par IA n’est pas une photo, il faut donc l’appeler autrement. « œuvre numérique » ou « image numérique » peut convenir. C’est une science qui crée l’image, pas un art. Il faudra donc séparer « photo » et « œuvre numérique » et si nécessaire mentionner l’usage de l’IA. Pour ma part, je parle de photo et d’image pour différencier ce qui est créé par un appareil photo et ce qui est créé par un ordinateur.
Certains pensent qu’il faudrait que le logiciel d’IA rajoute un filigrane (visible ou non ) indiquant l’usage de l’IA ; c’est ce que projette de faire Adobe; c’est techniquement difficile. D’autres voudraient que l’usage de l’IA soit mentionné par l’auteur.
Pour les images traitées jusqu’ à présent par Photoshop c’est un peu le même problème, il serait de bonne règle d’indiquer que Photoshop a été massivement utilisé (ce qui n’enlève rien à l’œuvre). Pourtant nous voyons rarement « Travail sous Photoshop » sous une photo ; nous aurions plutôt tendance à voir « sans Photoshop » sous certaines photos non traitées (comme si c’était un label de qualité). 
Si la séparation « photo »/ »oeuvre numérique » est claire quand la photo est prise par un appareil photo ou entièrement créée par IA, le problème est plus difficile pour les « photos modifiées numériquement ». L’usage de l’IA « outil » (sélection par IA, diminution du bruit…) ne pose par de problème mais l’ajout et la modification d’élément dans la photo par IA pose un problème quant à la frontière photo/travail numérique.
Pour beaucoup de photographes, maintenant, le travail d’une photo sous Photoshop avec les outils traditionnels (surtout si c’est créatif) reste de la photo car la matière de départ est de la photo. En sera t-il de même avec une photo améliorée par IA ?
J’ai vu des exemples récents ou un photographe avait rajouté (sans le dire) un animal sur une photo de paysage, faisant passer cette photo pour une prouesse. C’est choquant. Par contre une photo pour laquelle, dans un but créatif, on a modifié la texture, le ciel, les couleurs, rajouté quelques éléments,  le cadrage me parait acceptable et reste une photo. Faut-il avoir le même raisonnement pour l’IA ? 
La photographe restera une manière d’écrire grâce à la lumière. Et cela grâce à une boite avec des lentilles et un capteur.
 L’IA crée des images génériques, elle.
Toutes les branches de la photographie qui doivent refléter la réalité de ce qui est photographié ne pourront être faites par l’IA. Les photos représentant une personne (portrait de Mme Untel), un évènement (mariage de Pierre), une robe de créateur (pub pour la robe de tel créateur), une entreprise ne pourront pas être crées par l’IA (la photo doit montrer le portrait du modèle, le mariage du client et pas une femme ou un mariage qui n’existe pas ; elle doit montrer la vraie robe, les vrais locaux de l’entreprise).
L’acte photographique est irremplaçable.
Ce qui touche la relation humaine, le plaisir de la prise de vue, le plaisir de manipuler son appareil, les relations avec les modèles, le plaisir de créer une photo à partir d’une idée, de la mettre en place, le plaisir de gérer la lumière, le plaisir de capter un paysage, un visage, une rue qui est devant nous, n’auront pas leur place au sein de l’IA (Bien que simulés parfois).
Pour beaucoup de demande, le réel, l’authentique de la vraie photo seront préférés à une image d’IA  (en publicité, une vraie photo d’une bouteille de vin sera préférée à une image générée par IA , il y a des exemples).
La démarche d’un créateur d’image par IA n’est pas la même qu’un photographe devant son sujet. Le photographe avec son appareil photo n’est pas prêt à l’abandonner pour se mettre devant un clavier.
Les photos avec une démarche, une histoire un concept ne pourront pas être crées par l’IA : actuellement L’IA ne comprend pas les concepts, les notions abstraites.
Mais le photographe devra s’améliorer dans le sens ou une photo banale (un coucher de soleil) ne sera pas mieux qu’une image d’IA ; le photographe devra donc faire plus, se réinventer pour se démarquer et faire différent de l’IA. Cela sera stimulant de devoir faire mieux que l’IA.
Cela rappelle l’apparition de la photo et les peintres : ceux -ci, pour reproduire strictement le réel, ne pouvait pas faire mieux que la photo. Certains peintres ce sont donc libérés du réel et ont créés la peinture moderne.
A côté de cela, cela accentuera-t-il le retour à l’argentique et aux autres méthodes anciennes ? Par gout du retour aux sources de la « vraie » photographie avec un appareil photo et la recherche d’une certaine « authenticité », par refus des techniques nouvelles certains y retourneront.
Une image crée par IA peut elle être une œuvre d’art ? 
Il se pose le problème philosophique de savoir si une création numérique peut entrainer une émotion, être considérée comme de l’art et admirée comme telle ? Il me semble qu’il y a déjà des concerts de musique crées par IA. Nous aurons probablement des œuvres, des images artistiques crées par IA. Y aura-t-il des concours, des expositions de photos générées par l’IA ? Surement. Déjà certaines expositions de photos (Circulation (s)) acceptent le recours à l’IA pourvu qu’elle soit mentionnée). La rédaction d’un prompt (texte, directive permettant de générer une image) est réellement complexe et subtil pour créer l’image intéressante ; le fait de l’écrire devient en soi une création, un métier d’art.  Adobe insiste sur le fait que l’IA pourra être un outil de création permettant de donner vie à vos idées. De la même manière que le peintre utilise des pinceaux, le créateur d’image utilisera l’IA pour donner libre cours à son esprit créatif. Mais cela ne sera pas de la photo.
A noter que dans Adobe Stock qui propose des images, il y a maintenant un filtre permettant de séparer photos et images générées par IA.
Certains métiers seront-ils impactés ?
Certains métiers risquent d’être très impactés : les illustrateurs, les graphistes, les photojournalistes, risquent de ne plus avoir beaucoup de travail ; pour illustrer un article de simples photos illustratives crées par IA seront suffisantes.  Par exemple, pour illustrer un article généraliste sur les ponts, un pont imaginaire créé par IA fera l’affaire, plus besoin d’image de stock (par contre un article sur un pont qui vient d’être construit ne peut être fait que par une photo).
Les images « banales » impersonnelles sans créativité seront parfaitement générées par IA. Comme je le disais il va falloir se réinventer.
   
Les problèmes juridiques de droit sur une image générée par IA ne sont pas encore résolus. L’ayant droit sur une image créé par l’IA est-il l’informaticien qui a créé l’IA ? ceux à qui appartiennent les photos qui ont éduquées l’IA ? celui qui a tapé le prompt ? Déjà, d’où viennent les images qui ont éduquées l’IA ? Sont elles libre de droit ? si l’image générée entraine un préjudice qui est responsable ?  N’y a t-il pas spoliation du travail des photographes quand pour éduquer une IA, une société « pompe » des millions d’images sur internet ? 
La réponse viendra progressivement. Certains juristes déconseillent, actuellement, d’utiliser les images crées par IA devant les incertitudes de droit d’auteur et les possibles procès. Adobe a utilisé pour son IA les photos libres d’Adobe Stock, ce qui, a priori, ne poserait aucun problème quant à l’usage des photos.
Il ne faut pas oublier l’usage malveillant des images crées par IA : fausses nouvelles, propagande, manipulation par l’image : cela existe déjà avec Photoshop mais cela deviendra plus facile avec l’IA. Et bien sûr l’usurpation du terme de photo pour une image générée par IA pour se faire valoir, pour gagner un concours… Les raw de plusieurs photos prises au cours de la même séance et des photos montrant le photographe et l’environnement de la séance pourront servir de preuves qu’il s’agit bien d’une photo.
Nous en sommes au stade d’IA « étroite » qui ne résout d’un type de résultat (sélectionner un sujet, créer une image, détecter un visage…), mais que penser des projets l’IA « globale » qui comme un cerveau humain aurait des compétences dans tous les domaines ? et même un niveau de conscience ? en cours   L’usage massif de l’IA dans les systèmes experts globaux avec prise de décision (hors photo) et qui peuvent impacter nos sociétés et notre avenir est il une bonne chose ? Des décisions impactant les humains prisent par une machine cela peut être inquiétant. Cela dessine un futur ou l’intelligence artificielle peut prendre de plus en plus de place au détriment de l’humain ; les gens étant dirigés par une machine froide et sans sensibilité. C’est de la science-fiction mais cela entre dans le domaine d’un futur possible.
Pour être complet l’IA apporte aussi des bienfaits en médecine et dans certains domaines. C’est un outil, son intérêt et son danger viendra de ce que les hommes en feront.

Que peut apporter l’IA au photographe Photoshoper ?

Des générateurs de texte permettront de trouver une série de tag pour une image à mettre sur les réseaux. L’écriture d’un texte de présentation d’une photo ou d’une exposition pourra être rédigé par une IA si on n’est pas trop doué pour l’écriture.
Les outils utilisant l’IA comme les sélections automatiques et de réduction du bruit dans Photoshop, les propositions de preset dans Lightroom… ne sont que des outils qui facilitent et accélèrent le travail. Personne ne les remet en cause.
La génération d’image à partir d’un texte permettra de préparer une séance photo, de donner des idées, de se rendre compte du rendu de la futur séance photo. Cela pourra participer à développer une créativité nouvelle.
Les IA modifiant une photo existante pourront ajouter des améliorations, effectuer des corrections, des changements de fond, de mettre un personnage dans un univers que nous n’avons pas le moyen de créer (ou dans un univers qui n’existe pas). Une image créée de toute pièce par une IA sera une image numérique mais pour une photo modifiée par IA, quelle sera la position du curseur délimitant photo et œuvre numérique ?
Texte écrit sans l’aide de l’IA, bien sûr.

 

Pour marque-pages : Permaliens.

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